L'honnêteté relationnelle : un nouveau lieu de domination émotionnelle ?

Publié le 21 janvier 2024 à 14:42

" On se dit tout ? Tu sais moi je suis honnête "...

Cette phrase, entendue dans les rapports entre les hommes et les femmes, est plus complexe et tendancieuse qu'il n'y parait. Si l'intention peut paraitre louable (je suis honnête = je suis quelqu'un de bien), la transparence est-elle pour autant au service du lien ? Et à quelles conditions ?

Je crois que l'honnêteté, souvent présentée comme une vertu, peut être détournée comme un instrument de contrôle émotionnel du partenaire, dans une logique, parfois inconsciente, de domination.

 

"Tout se dire" ? De quoi parle-t-on ?

L'expression "tout se dire", est souvent un abus de langage, car en réalité on ne se dit jamais tout, et tant mieux. Dans une relation érotique, amoureuse ou conjugale, chacun garde un espace intime, non partageable, un jardin secret. Pour que la relation marche, il faut du commun partagé par les différents partenaires, mais aussi un espace personnel auquel l'autre n'a pas accès.

Alors qu'est-ce que les amants se disent en réalité; au lit, au téléphone, ou dans la vie ?

Je doute que "tout se dire" fasse écho aux courses hebdomadaires effectuées au supermarché.

Je doute également que le fait de se dire "honnête" touche au programme télé.

En réalité, ces expressions font écho à la sphère intime : les émotions et les sentiments.

L'émotion passe par le corps. Elle est une réaction sensible à une situation donnée. Quand deux partenaires font l'amour, le fait de toucher et d'être touché, provoque des sensations et des émotions, en général agréables (en tous cas on peut le souhaiter).

Le sentiment est de plus longue durée et continue à exister au-delà de la situation ayant provoqué l'émotion. C'est pour cela que le lien, érotique, amoureux, conjugal...; se construit dans le temps. Je pense à l'autre même quand je ne le ou la vois pas, parce que je partage quelque chose de particulier avec cette personne.

 

Tout se dire ? Pour quoi faire ?

Partager ses émotions et sentiments entre partenaires intimes, adultes et consentants, pourquoi pas ? 

Cela peut faire grandir la relation et chaque individu. Mais que convient-il de partager ? 

Quand un partenaire a envie de se confier sur ce qu'il ressent, il est important que cela puisse se faire dans un climat de confiance réciproque. Et de prendre en compte les limites de l'autre.

Dire -j'ai envie- ou -j'ai besoin-, -j'aimerais- ... sont des préalables constructifs qui permettent de partir de soi pour aller vers l'autre. Il est plus sain de dire - je - , plutôt que d'attaquer son partenaire en mode reproche : "toi ceci, toi cela...".

S'assurer de la disponibilité de son ou sa partenaire pour engager un dialogue impliquant est aussi une précaution d'usage. Une même parole sera reçue différemment si elle est entendue dans un moment de détente, de stress ou de fatigue. La réciprocité dans l'écoute est également un paramètre qui compte. Si les états d'âme sont partagés à sens unique, quelle est la place pour l'altérité ?

 

Tout se dire = dire l'essentiel ou le masquer ?

Se parler, se confier ... est-ce pour faire grandir la relation, la faire évoluer ou diminuer sa qualité ?

Pour certains partenaires, le sentiment amoureux est perçu comme un danger. Dans ce schéma, il est sera moins impactant émotionnellement de multiplier les rencontres éphémères, que de construire un lien durable. Cela peut être temporaire, après une longue relation par exemple; ou plus durable, comme un mode répétitif de fonctionnement relationnel.

La peur d'aimer peut reposer sur plusieurs facteurs : une estime de soi basse, des expériences affectives difficiles, un traumatisme familial ...

Dans ce cas de figure, l'honnêteté peut être utilisée comme une arme de protection individuelle, du type: " je te préviens, on partage du sexe, j'adore faire ça avec toi, mais je ne t'aime pas."

Outre la violence du propos, on peut se demander quel est l'objectif d'une telle parole...

Quand la relation charnelle est répétée dans le temps, génératrice d'orgasmes partagés; est-il possible, et/ ou souhaitable que la dimension sentimentale en soit absente ?

En tant que conseillère conjugale et sexothérapeute, il me parait vain de croire qu'une relation érotique régulière et satisfaisante, puisse être dépourvue d'affects. Dès lors, "tout se dire", et surtout ce qui amoindrit le lien, ne serait-il pas un moyen d'assouvir un désir de domination personnelle, parfois inconscient, sur l'autre ?

Dans une période de reconfiguration des rapports hommes-femmes post "me too", les partenaires ont conquis le droit de jouir, de vivre une sexualité libre et safe, sans passer par le mariage, la reproduction ou la honte (du moins ici et maintenant).

Mais qu'en est-il de notre capacité à expérimenter des liens d'amour qui se co-construisent dans le temps, en prenant en compte la singularité de chacun ? Quelle prise de risque consentons-nous à prendre pour rencontrer l'autre réellement, comme un partenaire et pas comme un objet à consommer ?

Et quelle place donnons-nous à la relation, pour que l'amour puisse être toujours (ou encore ?) du voyage?

 

Muriel Derouet, conseillère conjugale et sexothérapeute

 

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Commentaires

Lise
il y a 10 mois

Ok